J'ai coupé les racines de l'arbre, et maintenant, ça saigne...

Publié le par Galien -

[Blog 11]

Le 22 février dernier, un évènement m'a fait rompre avec tous mes "meilleurs" amis d'enfance et d'adolescence. Ceux avec qui j'ai tout partagé.
Et je n'ai aucun regret pour ce passage à l'acte. Arrivé à la trentaine, on devient con, on est capable de faire passer ses principes, avant l'ardeur de ses sentiments.

Mais ce soir, je n'arrive pas à dormir. Retour de la fameuse boule d'angoisse dans ma poitrine. Car Patrick m'a appelé, j'ai fait le mort, mais je reste perturbé par son appel.

Patrick, c'est simple, je ne sais même pas comment je l'ai connu, tellement nous étions bébés. Il paraît que nos mères, qui vivaient au même immeuble, ont sympathisé autour d'un bac à sable, et les fils - tous deux sans aucun frère - ont naturellement suivi. Patrick, c'est plus qu'un ami, je l'appelle "mon frère de coeur". Le juif et le noir, le riche et le pauvre, le nomade et le stable, toutes ces différences ne sont jamais venues à bout de notre lien primitif. Enfance, adolescence, adulescence, âge adulte... cela fait maintenant 32 ans que cette histoire dure, malgré nos personnalités très différentes.

Mais le 22 février dernier, dans un mail intitulé "aux amis de toujours", j'ai brisé le tabou, j'ai coupé toutes les racines de l'arbre, et maintenant, ça saigne.
Ca saigne juste pour lui, pas pour les autres.
Le 24 février, Lynn, son premier enfant venait au monde. Je n'ai pas appelé.
Le 26 février, comme chaque année, il m'a appelé pour mon anniversaire. Il est tombé sur le répondeur.
Le 28 février, c'était son anniversaire à lui. Je n'ai pas appelé.

Et depuis, aucune nouvelle.

Sauf ce soir. Mon portable a vibré. Surprise, j'ai lu "Patou" sur l'écran.
J'ai laissé sonner. Répondeur. Je ne sais plus trop ce qu'il a baragouiné, si ce n'est qu'il voulait me parler de ma "nièce".
Tout, dans sa voix, indiquait qu'on était encore frères, qu'il n'y avait pas de rupture. Mais pendant trois-quatre secondes, le timbre de sa voix a "décliné". Comme si émergeait une peine fugace, la peine de ne pas partager sa paternité toute neuve avec moi, son seul frère...

Or, de son côté, je crois qu'il ne peut pas imaginer sérieusement une rupture avec moi. Il n'en a même pas la capacité, tellement il vit dans ses rails. Dans l'horizon changeant de l'existence, je suis un point fixe... Idem pour moi, mais je suis bien plus extrême dans mon tempérament, et j'ose l'improbable, voire l'impossible.
Cependant, puis-je m'imaginer encore 30, 40 ans totalement coupé de la vie de Patrick ? Idée horrible, et très angoissante....

Sans entrer - pour l'instant - dans les détails de cette déchirure, je crois que je ne mérite pas ces amis-là, et eux m'ont suffisamment déçu pour que je les laisse partir loin devant moi, et que j'aille tracer ma route ailleurs. Car malheureusement, c'est souvent l'absence de l'autre qui nous fait réaliser à quel point on l'aime.
Je ne fais pas exception à cette règle. Pourquoi se le cacher ? Tant que je vivrai, je continuerai à chercher Patrick des yeux, en silence, une hache à la main, derrière un tronc d'arbre malade, et qui pisse le sang des liens rompus.

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[5 Avril. Encore un coup de fil de Patrick. Message laissé sur mon répondeur. L'inquiétude monte dans sa voix]

Salut M., c'est moi. Ben j'aimerais bien que tu m'appelles quand même, mon petit père... hein ? Parce que j'entends dire des choses et... je me dis que c'est pas possible que t'ai pu dire des choses comme ça donc, euh... si tu pouvais me rappeler pour me confirmer que ce que j'entends dire est faux, cela me rassurerai un petit peu. Donc, sur ce, je te fais des bisous et je te dis à bientôt. Ciao, ciao...

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[6 Avril. Je suis obligé de reconnaître qu'il y a des forces qui ne se dépassent pas...]



Publié dans A fleur de peau

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